Bulletin de l'été - Jours à Leontica

Bulletin de l'été - Jours à Leontica
Fabio Andina, Jours à Leontica, Zoé, 2021, 29.90 CHF
Deuxième roman du Tessinois Fabio Andina, le premier à être traduit en français, Jours à Leontica nous offre la description minutieuse et attachante d’une communauté villageoise d’aujourd’hui dans le Val Blenio. Dans un style qui laisse une grande part à l’oralité et fait chanter les mots de dialecte, Fabio Andina décrit des liens sociaux complexes et solides d’une société où chacun, du professeur retraité au simplet, de la vieille à l’impeccable chignon à l’hirsute homme des bois, trouve sa place. Un monde où la solidarité, l’entraide vont de soi et se passent la plupart du temps de mots : petits services rendus, déneiger le chemin, remplacer une bonbonne de gaz, échanges informels de nourriture, fromages, légumes, champignons, conserves, œufs ou kakis que l’on troque inlassablement.
Mais surtout, ce roman nous permet de rencontrer un personnage aussi fascinant qu’inoubliable : Le Felice. Nonagénaire alerte et taiseux, aux pieds calleux et crevassés comme l’écorce du Vieux Mélèze, il semble pétri de la même matière que les monts et les forêts qu’il a arpentés tout au long de sa vie. Un original, une forte tête.
« Histoire de vivre un peu comme lui », le narrateur – nous ne saurons pas grand-chose à son sujet – emboîte le pas du Felice pour partager sa vie quotidienne quelques jours durant. C’est le moment de l’année où les hirondelles accomplissent leurs dernières parades dans le ciel avant de migrer vers le Sud à la veille des premières neiges. Pour le Felice, à l’instar d’un animal qui mue pour se parer de sa robe d’hiver, celui d’échanger sa tenue d’été, cuissettes, chemisette, pieds nus, contre celle d’hiver, chaussures cloutées antédiluviennes, pantalon aussi robuste que rapiécé, maillot de corps, pull en laine tricoté, veste orange des CFF.
Chacune des journées du Felice commence par un plongeon avant le lever du jour dans une gouille glaciale, l’hiver en cassant la glace de son talon, connue de lui seul. Se laisser sécher ensuite à l’air, en attendant en pleine contemplation la caresse du premier rayon de soleil. Nous le suivons ensuite tout au long des journées, chacune correspondant à un chapitre, toutes semblables les unes aux autres. Nulle monotonie pourtant dans le récit qui se dé- ploie au rythme des mille allées et venues du Felice, tant sont intenses l’atten- tion et la présence dans le moindre de ses gestes : casser du bois, faire du feu, préparer un repas frugal ou une tisane d’herbes médicinales. Tant est sensuelle et entière sa communion avec son monde. Tant sont émouvants les échanges avec les voisins les plus proches, la Vittorina, frêle et timide comme un oisillon, ou l’Emilio, ami de toujours.
Et grandissent page après page admiration et fascination, pour le narrateur comme pour le lecteur, pour cet homme « qui a vécu toute sa vie du début à la n sans se poser une seule minute, serein et déterminé comme un torrent va à la mer ». MD