Bulletin de l'été - Laurent Tillon, Être un chêne

Bulletin de l'été - Laurent Tillon, Être un chêne

Laurent Tillon, Être un chêne, Actes Sud, 2021, 33.90 CHF

Au sein de la nation iroquoise la coutume exigeait que l’on commence une assemblée en demandant qui parlerait à la place du loup. La volonté de donner la parole aux vivants non- humains fonde la collection « Mondes sauvages ». Dans Être un chêne Laurent Tillon nous raconte en biologiste et ingénieur forestier passionné la vie de Quercus. Pas n’importe quel chêne, mais le « sien », l’arbre majestueux qu’il ne cesse de retrouver depuis l’adolescence et qui constitue le centre de son monde. Le lieu où, plus qu’ailleurs, il se sent à sa place. En élargissant la perspective, c’est aussi l’histoire de la forêt de Rambouillet qui nous est contée, et un écosystème forestier dans son ensemble qui est décrit. Il en résulte une lecture aussi instructive qu’agréable.


Un chêne écrit son autobiographie, année après année dans des cernes concentriques. Pour qui sait l’observer, l’architecture du fût et des branches est tout aussi parlante. Chaque branche doit plus à la nécessité qu’au hasard. Elle est à la fois autonome et solidaire de l’ensemble. Plus troublant et poé- tique : les branches font preuve de « timidité », évitent de se toucher entre elles, comme de peur d’in iger une blessure. De même, le chêne respecte une légère distance avec ses voisins. De ces derniers, hêtres, bouleaux, charmes, pins, le chêne n’est pas indépendant : en rivalité pour accéder à la lumière, les arbres forment cependant un réseau solidaire, capable de partager des res- sources, d’échanger des informations ou de se défendre en commun face à des agresseurs.

Nous découvrons aussi qu’un grand chêne abrite un écosystème à part en- tière. De sa cime peuplée de colonies de chauve-souris à la stupéfiante organisation sociale, au mystérieux réseau qui relie un arbre aux autres par le biais de laments de champignons, chapitre après chapitre s’o re à notre regard une immense variété d’espèces animales et végétales, et de micro-organismes.

Afin que vive et prospère toute cette biodiversité, il conviendrait d’intervenir le moins possible, notamment en laissant le bois mort sur place. Objectif difficilement conciliable avec une forte demande en bois, que ce soit pour la construction ou le chau age, et la nécessité de proposer au public une forêt sécurisée, didactique et jolie. C’est à la résolution de cette complexe équation qu’est appelé le forestier moderne.

Quant à nous simples promeneurs, il est bien délectable d’aller en forêt. Après avoir lu ce livre, nous ne l’aborderons plus de la même manière. MD

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