Bulletin de l'été - Guérir du mal de l'infini

Yves-Marie Abraham, Guérir du mal de l’infini, Ecosociété, 2020, 27.20 CHF

On pourrait s'étonner qu'un professeur à HEC Montréal publie un livre sur la décroissance. Mais ce qui étonne – et enthousiasme ! – plus encore, c'est sa radicalité. Car derrière ce joli titre à peine métaphorique se love une critique de la croissance qui insiste sur l'absolue nécessité d'en nir avec elle au plus vite. En économiste, l'auteur déconstruit méthodiquement les arguments de la doctrine orthodoxe mais son approche déborde en- suite largement de son champ disciplinaire. Il irte ainsi avec l'anthropologie lorsqu'il interroge en quoi la croissance est une nouvelle forme de sacré, et son abolition un tabou. Il convoque ensuite d'autres luttes et d'autres savoirs, issus de l'écologie ou des luttes sociales : pourquoi la croissance est autodes- tructrice ; en quoi elle est source d'aliénation, d'injustice et d'inégalités, non seulement au sein d'une même génération, mais aussi vis-à-vis des généra- tions futures et des autres espèces. Il endosse ainsi une position clairement anticapitaliste et au-delà se positionne contre le patriarcat, le colonialisme, le spécisme ou encore le capacitisme. L'analyse, servie par une langue claire et accessible, est riche, profonde et cohérente. Elle se termine en proposant une voie de sortie par la décroissance et les communs. On aurait pu vouloir une piste un peu mieux balisée pour mettre ce projet en place. L'auteur balaie pourtant cette critique d'emblée : le chemin se dessinera en cheminant mais une chose est sûre, rappelle-t-il, le capitalisme ne quittera pas la pièce juste parce qu'on le lui demande poliment. Qu’on soit ou non déjà bien sensibilisé à la nécessité de décroître, ce livre apporte à la thématique une synthèse enga- gée et originale, à la convergence des luttes. DH