Jean-Pierre Garnier, Le grand-guignol de la gauche radicale : chroniques marxistes-burlonistes

Jean-Pierre Garnier, Le grand-guignol de la gauche radicale : chroniques

Jean-Pierre Garnier, Le grand-guignol de la gauche radicale : chroniques marxistes-burlonistes, Editions Critiques, Paris, 2017, 212 pages, CHF 20.40.

Jean-Pierre Garnier, sociologue et urbaniste, marxiste et anarchiste, analyse souvent finement (lire Une violence éminemment contemporaine, éd. Agone) les dynamiques capitalistes à l'oeuvre dans le modelage et le remodelage des villes, la gentrification, ou "en-petit-bourgeoisement", des centres étant l'une de ces dynamiques.
Son analyse en termes de classes sociales est dans le présent ouvrage, collection d'articles parus sur le site d'une librairie communiste orthodoxe (Tropiques), appliquée à divers acteurs de ce qu'il est convenu d'appeler la gauche radicale. On y lit une critique d'organisations libertaires, de tel éditeur parisien et d'autres personnes en vue de la contestation, avec qui l'auteur a souvent collaboré par le passé.
Si les principes énoncés par l'auteur (influence de la position de classe sur le jugement et sur l'action des contestataires, notamment) sont dans leur généralité d'une grande utilité, le jugement porté envers Frédéric Lordon, pour prendre cet exemple, gêne par son côté peu dialectique voire injuste. Ainsi ce dernier est-il accusé de 1) ne pas prôner la sortie de l'euro, de la "communauté européenne" et de l'OTAN ; 2) d'être "anticommuniste" ; 3) d'être trop présent dans la vie publique.
Or, Lordon 1) travaille sans cesse, n'hésitant pas à se positionner ainsi en minoritaire, à critiquer l'UE et son grave déficit démocratique, ainsi que l'euro-carcan ; 2) intègre, dans Capitalisme, désir et servitude (éd. La Fabrique), la notion de communisme qu'il applique à sa res communa (tel qu'il rebaptise l'entreprise, souhaitée à l'avenir autogérée) ; 3) pour ces raisons, représente une voix peu prisée par le pouvoir, notamment médiatique. Il exprime donc son efficace critique du capitalisme réellement existant dans des lieux et médias en général autres que les dominants.
Certes, le discours de lutte, dont on sent bien le côté performatif, porté par Lordon à Nuits debout peut agacer et cette forme de "forums citoyens" mérite une critique de ses limites, notamment en se demandant quelles classes (s')y investissent ou ne (s')y investissent pas. Mais, après tout, on peut aussi se demander pour quelle raison la petite bourgeoisie intellectuelle ne devrait pas, elle aussi, se mobiliser politiquement, même au prix d'une certaine naïveté.
Ainsi, les François Ruffin (journaliste critique ayant été élu député et accomplissant depuis un bon travail, y compris en critiquant le fonctionnement de l'Assemblée, comme on peut le voir sur sa chaîne sur la Toile), F. Lordon et même Mélanchon méritent-ils vraiment d'être calqués sur les Mitterand, Rocard et autre Hollande… contre lesquels est né leur engagement ? Si seul le temps pourra le dire, faut-il se résigner à dénigrer toute tentative de gauche qui vise sincèrement à redonner au peuple et en particulier aux classes populaires des espoirs de changement et l'envie de se mobiliser ? Le refus de toute représentation et la croyance insurrectionnelle ne sont-ils pas aussi impuissants et voués à la décontextualisation que leur symétrique exacte qu'est la naïveté électoraliste conduisant à la chute automatique dans la compromission la plus crasse (avec certes l'exemple affligeant de Syriza en Grèce) ?
YB

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