La colonne Durruti malmenée

Le roman historique s’autorise des licences, c’est ce qui le distingue des récits ou des études. Mais la licence va-t-elle jusqu’à la copie fantaisiste ?

Le nouveau livre d’Adrien Bosc, Colonne (Stock, 2022), raconte le bref passage de Simone Weil en Espagne, en 1936, et ses réflexions ultérieures sur la guerre et la révolution. Cent trente petites pages (le livre en compte 176, mais le texte proprement dit va de la p. 15 à la p. 168, avec de judicieux blancs) dont trente au moins de copie avérée, en italiques, et au moins autant de citations indirectes, souvent mal copiées ou mal interprétées.

Dès la première phrase, on s’offusque : en août 1936, Simone Weil « rallie les Brigades internationales au sein de la colonne Durruti ». Or, les Brigades ont été créées en octobre sous l’égide du Comintern, précisément pour supplanter les milices des anarchistes, dont faisait partie la colonne Durruti, et du POUM, le parti qualifié de trotskyste par ses adversaires staliniens.

Les amis anarchistes de Simone, Ridel et Carpentier, sont traités avec négligence : Ridel est « un grand gaillard », mais cent pages plus loin il mesure 1m65 ; ils jouent les interprètes avec les paysans, mais quatre pages plus loin aucun d’eux ne parle espagnol ; Ridel a « la trentaine bien entamée » en 1942, alors qu’il est né en 1914. Cela peut paraître anecdotique, mais tout le livre est ainsi fait, de bribes copiées de manière approximative dans quelques livres évoqués laconiquement en fin d’ouvrage.

Près de la moitié du « roman » porte sur une lettre adressée en 1938 par Simone Weil à Georges Bernanos, publiée d’ailleurs à plusieurs reprises, sur l’événement qui l’a suscitée – l’exécution d’un jeune phalangiste – et les débats qu’elle a provoqués. Si vous lisez la revue XXI (en vente chez Basta !), vous aurez trouvé dans le numéro 12 (2010) un long article de Phil Casoar et Ariel Camacho, « Le petit phalangiste », résultat de vingt années de recherches. Adrien Bosc, qui les pompe sans vergogne, ne dit rien d’autre qu’eux, et le dit moins bien.

Mais le tâcheron est aussi éditeur parisien, les chroniqueurs se sont pressés de l’encenser : le roman serait « un cristal dans la boue de l’histoire » qui « dévoile[rait] » un aspect « méconnu » de Simone Weil : il ne dévoile rien, les textes sont connus. Vous ferez mieux, en évitant ce mauvais livre et en optant pour les mille pages des Fils de la nuit (Libertalia, 2016), guère plus coûteux et bien plus goûteux.

Marianne Enckell

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