La Fabrique de violence - Jan Guillou
Jan GuillouLA FABRIQUE DE VIOLENCEAgone, Marseille, 2010362 pages. Erik se
Jan GuillouLA FABRIQUE DE VIOLENCEAgone, Marseille, 2010362 pages.
Erik se fait cogner par son père quotidiennement. Il développe, parce qu'il est impossible de faire autrement, toute une technique physique et mentale basée sur la perception des signes de la plus ou moins grande fureur paternelle, sur les façons de résister à la douleur et à la peur, sur les ruses d'évitement du pire. La douleur et la peur: ce sont les deux ingrédients de la violence. A l'extérieur, à l'école, Erik règne sur sa bande de potes grâce à sa maîtrise d'une violence qu'il connaît intimement, qu'il sait doser. Et que, finalement, il hait. Il l'emploie donc avec une certaine parcimonie.
Mais sa bande représente quelque chose d'important pour lui du fait de la solidarité qu'il y perçoit, aussi, lorsqu'elle se fait prendre pour une série de vols à la tire avec recel et que ses « potes » trahissent, cela a deux conséquences qui vont donner une nouvelle orientation à sa vie: le renvoi de l'école et la brisure de solidarité qu'il a expérimentés auraient en effet pu faire de lui pour toujours un salaud individualiste et avide de pouvoir, mais dans la nouvelle école – la seule qui l'accepte – où il est envoyé grâce à une démarche de sa mère, c'est l'amitié et la révolte qu'il choisira.
Ecole un peu spéciale, puisqu'on y pratique « l'éducation mutuelle », c'est-à-dire la dictature officialisée et institutionnalisée des grands sur les petits. Mais ça, il ne le sait pas encore à son arrivée et, dans un premier temps, il est ravi de pouvoir être enfin anonyme et se dire qu'il n'aura plus à se battre. Pourtant, il est vite mis au courant des pratiques locales et, alors qu'il est normal de se plier à toutes les humiliations et brimades, ce qui sera au-dessus des forces d'Erik sera de s'y soumettre. On assiste alors à deux années de confrontation entre un système répressif et un rebelle qui tente de soulever les autres membres des petites classes et se trouve confronté à leur passivité. A ce propos, il a de grandes discussions avec Pierre, son compagnon de chambrée, un garçon peureux mais très intelligent qui partage son dégoût envers le système de l'école et qui deviendra son unique et grand ami. Faut-il être violent? Ou au contraire opposer une résistance passive? Mais comment résister quand le règlement du lieu accorde à la fois le plus grand arbitraire aux dictateurs en herbe du Conseil (le groupe élu d'élèves des grands classes) et empêche toute révolte envers lui sous peine de renvoi immédiat? Car, pour Erik comme pour Pierre, terminer cette étape de la scolarité est un enjeu crucial.
Cette sorte de fable fait penser à un mélange de roman prolétarien et de La ferme aux animaux d'Orwell. Quant à sa simplicité d'écriture et à la netteté de son propos, elles jurent certes avec une certaine sophistication et un cynisme en vogue. Citons à cet égard Chomsky: « Tout cela peut sembler naïf, et ça l'est; mais je n'ai encore entendu aucun commentaire sur la vie humaine et la société qui ne le soit pas, une fois dépouillé de ce qu'il comporte d'absurdité et d'égoïsme. » Captivant par sa thématique et la façon dont est mené le récit, ce livre de 360 pages se lit en une nuit.
YB