La machine est ton seigneur et ton maître - Célia Izoard
Celia Izoard (dir.), La machine est ton seigneur et ton maître, Agone,
Celia Izoard (dir.), La machine est ton seigneur et ton maître, Agone, 2015, CHF 14.80
« Le 8 février, j’étais embauchée comme ouvrière à la chaîne. Foxconn m’a attribué le numéro F9347140. » (Tian Yu)
Le monde ludique et coloré des « nouvelles technologies » a son revers : des usines gigantesques où s’esquintent les millions de salarié.e.s des sous-traitants d’Apple, Microsoft, Sony, Amazon, Samsung et autres géants du secteur. Ce travail de production que l’on ne veut pas voir, ce sont de jeunes Chinois, pour la plupart fraîchement émigrés des campagnes, qui y perdent leur vie, bien souvent au sens strict :
l’usine Foxconn de Shenzhen, dont il est question dans ce livre, a connu de telles vagues de suicides qu’il a fallu se résoudre à installer des filets de sécurité sous les fenêtres des dortoirs où sont parqués ouvrières et ouvriers. Conditions de travail infernales, salaires minables, propagande lénifiante du management… ces usines qui ressemblent à des taules évoquent autant les romans d’Emile Zola que le 1984 de George Orwell.
En à peine cent pages ce livre parvient à éclairer, de plusieurs angles différents, ce monde que nous aimerions tant ignorer. On lit d’abord le récit d’un ouvrier, Yang, puis l’histoire de sa collègue Tian Yu, devenue paralytique après une tentative de suicide. A partir du cas de Tian Yu, la sociologue Jenny Chan décrit les conditions qui rendent possibles de tels drames : les méthodes de management de Foxconn, tout comme les choix politiques de l’Etat chinois et l’impuissance des syndicats. Dans un tout autre genre, les poèmes de Xu Lizhi, un ouvrier de Foxconn qui, lui, n’a pas raté son suicide, sont les textes les plus forts de ce recueil : phrases brèves, vers libres, le désespoir lucide de Xu Lizhi lui aura permis d’écrire des pages magnifiques et sombres, avant de décéder à vingt-quatre ans.
En conclusion, Celia Izoard replace les usines concentrationnaires de Foxconn dans le contexte mondial, rappelant les enjeux de la robotisation ou mettant le doigt sur les conséquences écologiques de notre addiction aux « nouvelles technologies ». Elle compare les conditions de travail à Shenzhen et à la Silicon Valley : là on se tue pour ne plus devoir travailler, ici on fait des brainstormings dans des baignoires à bulles et les cafétérias proposent gratuitement des sandwiches bio ; là on produit, ici on conçoit. Or, tout est mis en œuvre pour occulter les conditions terrifiantes de la production, pour des raisons évidentes : « Les jeunes générations se rêveraient-elles si facilement en Bill Gates ou en Steve Jobs s’il allait de soi que ces fortunes reposent moins sur une inventivité visionnaire que sur l’exploitation de millions de travailleurs ? » De même, achèterions-nous autant de gadgets informatiques si nous avions une idée précise des conditions dans lesquelles ils sont fabriqués ? NS