La Révolution inconnue - Voline
VolineLa Révolution InconnueGenève : Entremonde, 2010 (1ère éd. :
VolineLa Révolution InconnueGenève : Entremonde, 2010 (1ère éd. : 1947), 3 Vol., coffret, 720 p.
Vsevolod M. Eichenbaum est né en 1882, à Voronej (Russie) et décédé en 1945, à Paris. Ses deux parents étaient médecins. Il poursuit des études de droit à St-Pétersbourg. Il participera activement aux révolutions russes de 1905 et de 1917. C'est de cette dernière, la révolution d'octobre 1917, que traite son ouvrage majeur : La Révolution Inconnue.
Eichenbaum se revendique de l'anarchisme (plus précisément de l'anarcho-syndicalisme), dont il est assez unanimement reconnu comme un des auteurs phares. C'est de ce point de vue qu'il entreprend de nous raconter la Révolution russe. Il prétend pouvoir tenir, du fait même de ses convictions libertaires, un discours parfaitement objectif, ce que nous ne lui concédons pas. Mais il faut admettre qu'un tel point de vue offre l'avantage de lui permettre une critique franche de la Révolution russe sans s'attirer le soupçon d'être un réactionnaire.
En effet, l'ouvrage entier est traversé par l'espoir et la conviction que la Révolution qui émancipera l'humanité en détruisant le capitalisme aura lieu tôt ou tard. Et selon lui, la Révolution russe était porteuse de cette vocation : l'objet du livre troisième – dont le titre ne laisse aucun doute à ce sujet : « les luttes pour la véritable Révolution sociale (1918-1921) » – est justement de le démontrer.
Le livre premier, « Naissance, croissance et triomphe de la Révolution russe (1825-1917) », donne une introduction générale à la situation politique du pays jusqu'à la prise du pouvoir par les bolcheviks en octobre. Il présente les différentes factions politiques qui s'affrontent de façon synthétique et en dégage les principales lignes de démarcation. Les dernières pages offrent un début de réflexion théorique sur la notion de pouvoir politique, d'un point de vue libertaire, point de vue qui sera développé tout au long de l'ouvrage avec un certaine finesse. Le deuxième livre porte sur les relations (houleuses) entre « le bolchevisme et l'anarchie ». Ce volume retrace l'histoire de la révolution du point de vue des répressions subies par les anarchistes, mais pas uniquement par ceux-ci, au cours de la Révolution, tout en analysant les différentes attitudes adoptées par les bolcheviks au pouvoir au fil des premières années de la révolution. Il montre le rapide revirement de l'État « prolétarien » contre ceux qu'il est censé représenter directement : les ouvriers, et plus généralement, les travailleurs (car, il nous est rappelé que la classe laborieuse russe de l'époque est composée dans son immense majorité par les paysans). Au fil du texte, sont discutées des options politiques concernant : le rôle des « avant-gardes », c'est-à-dire des intellectuels, auxquels l'auteur est conscient d'appartenir, mais auxquels il refuse toute prérogative excédant le rôle de conseiller ; le rôle des masses, dans la Révolution, dans la résistance à la réaction, etc. ; l'usage de la violence ; etc. Dans chacun de ces cas, la réflexion est ancrée dans les faits, et il est montré ce qui a été fait et ce qui aurait pu, et dû, être fait. Le livre troisième, enfin, comme il a été indiqué plus haut, revient sur les derniers sursauts de ce que l'auteur considère comme étant la « vraie Révolution sociale ». Il s'agit de la révolte des marins de Cronstadt, en 1921, et de l'armée populaire machnoviste d'Ukraine, entre 1918 et 1921. Cette dernière année marque la fin du souffle de la Révolution en Russie, voyant les dernières mobilisations libertaires être écrasées sans merci par les bolcheviks au pouvoir. Ces deux derniers épisodes doivent une partie de leur notoriété à l'ouvrage discuté ici, qui est l'un des premiers à la montrer sous leur vrai jour, c'est-à-dire comme des révoltes d'ouvrier réellement révolutionnaires, et non comme des sursaut de la contre-révolution.
L'ouvrage apporte une analyse qui montre que l'anarchisme n'est pas, comme on le présente souvent de façon caricaturale, une simple volonté de destruction du pouvoir et une absence d'organisation. L'auteur développe des réflexions assez fines sur divers points importants de ce courant de pensée. Quelques mots sur la forme : le style est très agréable à lire. L'auteur n'abreuve pas le lecteur de statistiques indigestes, sait se monter synthétique, sans sacrifier la précision et un certain soucis du détail. Le lecteur intéressé à l'histoire de la révolution russe aura sans doute avantage à se reporter à de plus récents ouvrages sur le sujet, bénéficiant de sources plus larges et de critères de rigueur plus pointus, mais ce texte n'en demeure pas moins d'un intérêt certain pour quiconque s'intéresse de près ou de loin à l'anarchisme. A noter, pour la présente édition, quelques coquilles, notamment dans la mise en page, mais qui ne nuisent que très peu à la lecture et aucunement à la compréhension du texte.
François Villars