Laurier The Fox, "ReconnaiTrans. Témoignages", Lapin, 2021, 37.40 CHF

L’auteur a récolté et mis en images une centaine de témoignages ayant vocation à faire comprendre ce que vivent au quotidien les personnes trans. Tranches de vies, ou parcours plus longs, l’ensemble nous donne un condensé de ce à quoi peut ressembler la transphobie ordinaire ou moins ordinaire, avec différents de degrés de violences (les histoires les plus extrêmes sont précédées d’avertissements, et une liste plus complète de trigger warnings figure en avant-propos). La mise en scène est particulièrement soignée, des codes de couleurs mettant en évidence les propos oppressifs dans des phylactères bleues et dégoulinantes, qui renvoient à la marée gluante de transphobie dans laquelle se débattent les personnages sur la couverture de l’ouvrage ; les moments de soutien et de réconfort (car il y en a aussi) sont eux enveloppés d’un jaune plus chaleureux. Bien entendu, les personnes trans trouveront sans doute un grand intérêt à cette bande dessinée, pouvant se retrouver dans certaines histoires, réfléchir à leur propre parcours en le confrontant à tous ceux présentés ici, d’autant qu’un ensemble très varié et très inclusif de situations sont exposées : la non-binarité y a une place importante, le cumul des oppressions des personnes racisées ou handicapées, notamment, y est exploré dans plusieurs récits. Les personnes concernées y trouveront encore des ressources en fin d’ouvrage, où sont référencées des sites internet, des chaînes youtube ou des associations trans, qui peuvent offrir de précieux appuis. La vocation première du livre semble être toutefois, comme l’indique l’avant-propos, de s’adresser aussi à un public extérieur à la communauté trans, afin de donner aux personnes qui ne vivent pas ces oppressions au quotidien un aperçu de ce qu’elles peuvent être concrètement : le code couleur identifiant les actes et propos transphobes (outil didactique permettant de signaler clairement ce qui relève de la transphobie et ce qu’est être un-e bon-ne allié-e), un lexique en fin de volume pour se familiariser avec le vocabulaire de la transidentité. Cette bande dessinée constitue en somme un manuel d’auto-éducation, véritable guide des choses à faire et surtout à ne pas faire. Car la transphobie montrée dans ces pages ne s’exprime pas que par des agressions haineuses ou du mépris franchement affiché (ce qu’évitera spontanément toute personne bienveillante), mais s’insinue aussi dans des petites remarques banales, dans l’anecdotique, bref, dans les interactions ordinaires, qui reproduisent toujours, si l’on ne cherche pas à en prendre conscience, l’ordre dominant. FV