Édouard Louis, "Changer : méthode", Seuil, 2021, 34.- CHF
Le nouveau bulletin de Noël est arrivé!
Avant un long trajet en train, ayant oublié de me munir d’un livre, je me rends dans le kiosque de la gare, à la recherche d’une quelconque revue à me mettre sous la rétine. Belle surprise : le dernier Édouard Louis y est en vente. N’ayant lu de l’auteur que quelques pages d’En finir avec Eddy Bellegueule et son dialogue sur l’art avec Ken Loach (recensé dans notre bulletin d’été 2021), je me dis que c’est l’occasion de le découvrir.
Dans ce nouveau récit autobiographique, Édouard Louis nous raconte son impressionnant parcours d’ascension sociale, qui le conduit d’une famille très pauvre dans un petit village du Nord de la France, où il est victime de la violence homophobe qui y règne, à sa carrière d’écrivain parisien à la renommée internationale pouvant vivre pleinement sa sexualité. Dans un exercice d’honnêteté sans concession, il se livre à une série de confessions aux personnes dont il s’est progressivement éloigné, son père beaucoup, son amie Éléna, qui l’a aidé un temps à acquérir un ethos bourgeois et à s’éloigner de sa famille, avant qu’il pousse plus avant sa conversion sociale, et se lance même dans des interviews fictives de lui-même devant son miroir. Il fait le récit d’une trajectoire de vie où se côtoient les mondes les plus divers, nous faisant passer de repas dans les plus grands restaurants parisiens avec caviar au menu en compagnie de riches millionnaires, à des scènes de passes organisées dans l’urgence pour pouvoir payer le dentiste le lendemain. Il nous dit sans fards la honte grandissante de ses origines au fil de son ascension, le mépris de classe qui s’y rattache, tous ces sentiments qu’il n’a appris que plus tard à comprendre comme relevant d’une idéologie de classe, exprimant des rapports de domination sociale. On assiste aussi à un exercice de dénaturalisation des éléments qui nous paraissent les plus spontanés, lorsqu’il nous explique, dans une veine proche de la tradition ethnométhodologique ouverte par le sociologue américain Garfinkel, comment il lui a fallu apprendre à force de volonté ce que l’on intériorise généralement inconsciemment : apprendre non seulement à tenir des couverts, à manger, mais aussi à marcher, à se tenir, et même à rire. La somme des efforts investis dans cette fuite du monde hostile de ses origines est étourdissante, et le point d’arrivée est flou, le bilan mitigé, entre sécurité matérielle, conscience coupable des privilèges acquis et presque une pointe de cynisme... Fort, prenant et d’un grand intérêt sociologique. FV