"Le souffle de la Méditerranée" par Fabio Fiori
Fabio Fiori, Le souffle de la Méditerranée : Voyages et légendes, Le bruit du monde, 2024
Traduit de l’italien par Sofia Gérard
Dès ses premières pages, Le souffle de la Méditerranée de Fabio Fiori fait songer à l’éblouissant Bréviaire méditerranéen de l’écrivain yougoslave Predrag Matvejevic. Rien d’étonnant à cela, puisque le premier considère le second, son « Homère des Balkans », comme un maître. On retrouve chez l’élève un même goût de la précision et de la digression érudite, un même esprit gyrovague et rêveur.
Ni carnet de voyage, ni journal de bord, Le souffle de la Méditerranée est un essai poétique consacré aux vents, tout autant tributaire de la mythologie et de la littérature que de corps-à-corps vécus avec des vents contraires, qui mobilise le savoir autant que les sens. Pour qui les connaît bien, en effet, chaque vent, selon qu’il souffle du large ou de la terre, possède une odeur et une couleur qui lui sont propres.
Fabio Fiori, se considère comme un anémophile, une personne qui a besoin de vent pour se sentir bien, et redoute plus que tout le calme plat. Le natif de Rimini a beaucoup navigué, sur l’Adriatique comme dans toute la Méditerranée. Il a appris en lisant les classiques que les vents sont des divinités changeantes, capricieuses. Qu’il est fondamental de les respecter et vain de les contrarier. A quoi bon en effet s’obstiner à louvoyer face à un vent adverse, alors que la patience sera récompensée par un portant qui gonflera les voiles pour vous mener à bon port ? Autre marque de respect, le nom des vents doit rigoureusement commencer par une lettre capitale : Tramontane, Ponant, et ainsi de suite.
Quiconque navigue en Méditerranée se retrouve dans le sillage de Jason et d’Ulysse. En nous montrant ce dernier soumis à la fureur de Zéphyr, Borée, Euros et Notos, qui sont autant de points cardinaux, Homère dessine une rose des vents rudimentaire. Un chapitre consacré à l’anémographie traite de l’art de définir, classer et représenter les vents. Nous apprenons ainsi qu’Anaximène de Milet, « père philosophique du vent », considère l’air comme principe vital, que Strabon identifiait l’origine des vents dans l’évaporation des mers, ou encore que pour Kant les vents étaient le courant de l’océan aérien. Que l’architecte romain Vitruve en faisait grand cas, qui recommandait d’éviter d’orienter l’axe des rues des villes dans le sens des vents dominants.
Au sommet des mats des trabaccoli et des bragozzi, embarcations de commerce traditionnelles de l’Adriatique, les girouettes indiquent la direction du vent. Ces mostraventi, simarole (on reconnaîtra une étymologie commune avec cîme) en Istrie, penei (pinceaux) à Venise, sont souvent des trésors d’art populaire que les marins taillent et décorent à leur temps perdu. Les splendides roses des vents des portulans de la Renaissance identifient et nomment jusqu’à trente-deux directions. Celles-ci étant connues, restait à définir l’intensité avec des nuances qui ont malheureusement disparu du langage de la navigation moderne. En disant southeast three plutôt que tiède petite brise de Sirocco, on gagne en froide efficacité ce que l’on perd en poésie.
A l’instar d’un Joseph Conrad, Fabio Fiori rend hommage à la beauté de la langue des marins, inventive et imagée, capable de faire entendre la promesse ou la menace qui souffle avec le vent. Selon sa force il est « frisquet, petit frais, joli frais, grand frais, grand, nul, établi, gaillard, forcé, terrible, furieux, déchaîné, tempétueux, orageux ». Un des grands charmes de ce livre est aussi de nous donner à entendre la lingua franca qui se parlait à bord dans toute la Méditerranée, composée de mots d’origine grecque, arabe, catalane, vénitienne et génoise.
C’est la rose des vents, encore elle, qui donne sa structure au livre. Huit chapitres en effet nous font naviguer dans chacune des directions principales que sont Tramontane, Grécale, Levant, Sirocco, Ostro, Libeccio, Ponant, Maestral. La croisière se termine par un hommage à trois vents qui, bien que régionaux, sont par leur fréquence et leur dominance des souverains absolus. Comment imaginer les îles grecques sans le Meltem, cher à Kazantzakis et Lawrence Durrell, qui façonne le paysage en inclinant les arbres vers le sud ? Différente serait peut-être la poésie d’Umberto Saba sans la Bora triestine, ou la trilogie policière marseillaise de Jean-Claude Izzo sans le Mistral. MD
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