Moi Tarzan, toi Jane - Irène Jonas

Irène Jonas Moi Tarzan, toi Jane. Critique de la réhabilitation

Irène Jonas
Moi Tarzan, toi Jane. Critique de la réhabilitation "scientifique" de la différence hommes/femmes
Syllepse, 2011, 133 pages.Ce livre est du pur satanisme féministe constructiviste et... je ne suis pas loin d'adhérer à toutes ses conclusions. Il décrit, cite et critique radicalement le courant dit de la "psychologie évolutionniste" qui tend à réhabiliter un certain réductionnisme biologique pour l'appliquer à des sujets humains dépouillés des rapports sociaux dans lesquels ils s'inscrivent pourtant de fait. Cela posé théoriquement, l'ouvrage étudie, et de près, les actualisations récentes de ces théories dans les domaines des relations de couple, de la maternité et de l'éducation des enfants, prenant plus particulièrement pour objet d'analyse la littérature de type prescriptif portant sur ces questions.

Selon la position initiale du lecteur, les doutes peuvent d'un coup changer de camp et ce jeu augmente la plasticité du cerveau, prévenant du gâtisme prématuré...Un tel ouvrage ne gagnerait-il pas toutefois à différencier plus clairement entre les diverses interprétations néodarwiniennes ou se réclamant telles ? A moins que, de son point de vue, cette différentiation soit réellement impossible (ce qui est possible)... Par exemple, la position de P. Tort, se voulant "dialectique" (cf. L'Effet Darwin, Seuil, 2008) et prétendant donc échapper à un "plaquage" direct des données du monde animal sur le monde humain (sans pour autant postuler de "rupture"...), offre-t-elle une vraie solution ou n'est-elle pour l'auteure qu'une variante de la psychologie évolutionniste ? L'ouvrage de Tort (auteur que nous avions invité en novembre 2011 et dont vous pouvez écouter la conférence sur ce même site), mentionné, n'est toutefois pas commenté sous cet aspect : Jonas se contente de dire que Tort "dédouane" Darwin de toute responsabilité dans le sexisme. Ce qui est peut-être vrai (le passage de L'Effet Darwin sur la différence des sexes est touffu et... même si on a envie d'y croire, on a l'impression qu'y est dit tout et son contraire), mais on aurait aimé une critique détaillée (Ajout du 16.12.2012 : Pour une critique des thèses de P. Tort, voir l'intervention de Franck Cézilly, biologiste, professeur à l'Université de Bourgogne, à propos de L'Effet Darwin, critique consultable à l'adresse : http://www.nonfiction.fr/article-1734-p2-charles_darwin_jamais_si_bien_servi_que_par_lui_meme.htm)
Il est cependant certain que cette lecture aura un effet dissolvant tout à fait recommandable sur l'idée d'une détermination biologique, considérée souvent comme allant de soi, de rôles sexués qui s'en trouvent du coup légitimés. On peut, certes, avoir parfois l'impression que l'auteure semble s'offusquer du moindre signe allant dans le sens d'une prédisposition biologique de l'un ou l'autre sexe vers certaines attitudes ou comportements et l'on est porté à douter : en quoi celle-ci irait-elle forcément à l'encontre de l'égalité des sexes ? Or, les analyses et en particulier les conclusions théoriques des chapitres semblent assez complexes et solides pour y répondre de façon globalement convaincante. Elles relèvent en même temps d'une "critique de l'idéologie" combative que nous laisserons à la lectrice ou au lecteur le soin de découvrir. Ce type d'analyses (portant en particulier sur la relation de couple et son "traitement" par la littérature "psy différentialiste") met donc fort justement le doigt sur les déterminations soit disant naturelles de traits de caractères dits essentiels, ces légitimations n'étant en somme que des aspects d'une idéologie soutenant la domination masculine.Je soulignerai donc en conclusion l'aspect profondément libérateur, pour le lecteur un peu trop spontanément porté sur le naturalisme, de cette réflexion critique féministe, dont on peut espérer qu'elle provoque la ferme volonté de ne pas s'en laisser compter par des théories de la psychologie évolutionniste aux relents conservateurs, et celle de prendre résolument parti contre toute assignation des femmes à des sphères (communicationnelles ou sociales) définies une fois pour toutes comme leur destinée immuable.
YB

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