Novembre 1918 - Alfred Döblin

Alfred Döblin, Novembre 1918, une révolution allemande, 4

Alfred Döblin, Novembre 1918, une révolution allemande, 4 vol.
Marseille, Agone, 2008-2009, 2336 pages, frs. 188.80.
A. Döblin, auteur du célèbre Berlin Alexanderplatz, traite avec ironie (de l'égratignure à la morsure à pleines dents), dans cette quadrilogie volumineuse, quasiment l'ensemble des protagonistes, historiques ou inventés, de la révolution qui a éclaté en Allemagne à la toute fin de la Grande Guerre.

Toutes les positions – sociales, politiques - sont explorées par l'auteur tour à tour dans des personnages incarnés, très incarnés et oscillant donc forcément, plus ou moins, entre la tragédie et la farce...
Ce sont, comme l'explique Michel Vanoosthuyse dans sa préface éclairante, ces points de vue qui se confrontent alors à travers leurs choix, leur (non-)engagement dans la révolution ou la réaction. Révolution, selon Döblin, trop « allemande » : pour l'auteur, médecin militaire dans ces années-là, puis exilé lors de la guerre qui suivit (la rédaction du livre est achevée en 1943), l'Allemand, même révolutionnaire, reste en effet trop débonnaire, petit-bourgeois et poli pour mener à son terme une telle rupture...
« Parmi les fusiliers de la garde, les dénommés "Hannetons" (contre-révolutionnaires), il y avait un certain lieutenant Schulze, un homme fougueux, ambitieux et désoeuvré, qui était bien déterminé à intervenir d'une manière ou d'une autre dans la révolution allemande et s'en trouvait en permanence empêché. En quoi il se distinguait radicalement des Ecureuils (révolutionnaires) - de toute façon, la détermination à intervenir dans la révolution était alors moindre chez les révolutionnaires que chez les contre-révolutionnaires. Le dimanche soir, le lieutenant Schulze se sentit bien triste d'avoir si peu d'hommes à sa disposition. Tout juste quarante hommes du deuxième régiment de la garde, en plus des vingt Alexandrins tsaristes. C'était notoirement insuffisant, comment faire quoi que ce soit avec ça, même la révolution leur tiendrait tête ! Pas question de prendre la préfecture de police (aux mains des révolutionnaires) avec ces soixante hommes. Le temps pressait. Car, abstraction faite de tout cela, d'un moment à l'autre d'autres troupes pouvaient surgir, le devancer et lui souffler la conquête.
» Que faire dans une telle situation ? se demanda le lieutenant Schulze. Alors en homme résolu il mit ses hommes au trot et alla chercher avec eux à Reinickendorf un train chargé de mitrailleuses. Il savait qu'il y avait des mitrailleuses à Reinckendorf : il y alla et s'en empara. (En quoi il se distingua là encore radicalement des autres, cette fois des occupants (révolutionnaires) du Vorwärts qui envoyèrent à Spandau un messager avec un billet réclamant des mitrailleuses et qui évidemment les attendirent en vain jusqu'à leur fin tragique.) »
Quant à la social-démocratie, sa perfidie traîtresse éclate lors de cet épisode historique que tout le monde devrait connaître !
« La parade terminée, les troupes repartirent, laissant derrière elles un appel de la main de Noske (membre du SPD chargé par le gouvernement de même couleur de réprimer l'insurrection), destiné à tous ceux qui n'étaient pas là, empêchés par la pluie ou quelque autre raison.
‹ Travailleurs, soldats, citoyens !
› Aujourd'hui, à une heure, trois mille hommes équipés d'artillerie lourde et de mitrailleuses ont défilé dans Berlin et Charlottenburg.
› Le gouvernement a ainsi prouvé qu'il a le pouvoir d'imposer votre (il veut dire sa) volonté.
› Dans l'est de la ville, des voleurs en automobiles se livrent au pillage. Le dernier masque - celui d'un mouvement politique - est tombé.
› Pillage et brigandage se révèlent être le seul et unique but de l'insurrection. ›
» Et voilà. C'était pour beaucoup un cri du coeur, surtout pour ceux qui l'avaient toujours dit. Ces types ne voulaient que voler. Très correct de la part de Noske et des autres socialistes du gouvernement - eux-mêmes de petites gens - de prendre des mesures contre. On le voit, l'enseignement de l'école primaire a du bon. On vit en Allemagne et non en Russie. La classe ouvrière berlinoise lut la proclamation avec tristesse. Elle rêvait dans son coeur d'une unification de tous les partis socialistes. Les uns gémissaient : ‹ Voilà ce que nous vaut la scission ! › D'autres grognaient : ‹ On peut dire merci à Karl et Rosa ! C'est eux qui nous ont fichus dans le pétrin ! › Mais les uns comme les autres laissaient leurs héroïques camarades continuer à se battre seuls et se faire tuer au Vorwärts, chez Mosse et Ullstein. »
Döblin joue ainsi de registres (légèreté, gravité, ironie, sérieux, mais aussi réalisme et fantastique, etc.) sans cesse changeants dans cette oeuvre, bien à son habitude, foisonnante. Employés de façon extrêmement contrastée, ces "tournus" dessinent une distribution baroque, mais politiquement cohérente, éthiquement hiérarchisée.
Agone poursuit avec ces volumes la traduction de romanciers qui ont pris fait et cause pour la classe ouvrière lors du XXe siècle.
YB

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