Olivia Rosenthal, Un singe à ma fenêtre, éditions Verticales, 2022
Olivia Rosenthal, Un singe à ma fenêtre, éditions Verticales, 2022
Lost in investigation, cela pourrait être le sous-titre d’Un singe à ma fenêtre, récit d’un séjour à Kyoto. Olivia Rosenthal est partie en résidence au Japon avec le projet d’enquêter, vingt-cinq ans plus tard, sur la mémoire des attentats au gaz sarin perpétrés par la secte Aum dans le métro de Tokyo en 1995. Financement, calendrier, méthodologie: le projet est ficelé pour ne laisser aucune part à l’imprévu. Or dès le début tout dérape et rien ne se passe comme attendu.
Étranges barrissements de l’ascenseur, claustrophobie, peur panique des scolopendres, tout contribue à créer un sentiment de malaise diffus et persistant. Les témoignages qu’elle récolte sont d’une banalité confondante; le mot attentat n’existe pas vraiment dans la langue japonaise, dans laquelle par ailleurs il est malaisé de dire «je»; dans une société extrêmement policée les réticences sont grandes à exprimer des positions personnelles: l’enquête tourne en rond.
Sans jamais se départir de son humour pince-sans rire, Olivia Rosenthal explore avec une grande précision tous les méandres de la frustration, de l’anxiété et de la colère qu’elle ressent devant une surface lisse et impénétrable. Et ne manque pas de s’interroger sur ses réactions émotionnelles manifestement disproportionnées.
Des animaux encore. Des inquiétantes veuves noires, un singe énigmatique. Anagramme de signe, remarque-t-elle. Mais signe de quoi? Ne démordant pas de son projet, elle modifie quelque peu le protocole de ses entretiens, simule la nonchalance et la légèreté, se montre moins directive pour laisser à ses interlocuteurs la possibilité de s’exprimer librement. Résultat, des voix japonaises intéressantes, des confessions intimes et touchantes, mais le plus souvent très éloignées de son sujet.
Progressivement, l’enquête devient introspective. Les non-dits, ellipses, failles, relevés dans les conversations, sont autant d’interstices dans lesquels l’autrice se faufile pour se questionner, s’ausculter. Et si elle était partie à l’étranger «pour être triste avec raison, pour avoir raison d’être triste»? Pourquoi demander aux autres de se pencher sur leur passé? Et si questionner la douleur d’autrui n’était qu’une manière détournée d’aller vers ce qui en soi demeure muet, perte non exprimée, deuil jamais élaboré? Et si on pouvait s’inspirer de l’art japonais du Kintsugi, consistant à réparer avec de l’or des porcelaines brisées? L’appliquer à soi pour recoller ses morceaux tout en magnifiant les débris?
Comment trouver, en la cherchant au mauvais endroit, réponse à des questions que l’on ne se posait pas? C’est en définitive ce questionnement aux allures de koân zen qui pourrait synthétiser le déroutant récit d’Olivia Rosenthal. MD