Une Saga moscovite

Vassili AXIONOVUne Saga moscoviteGallimard /

Vassili AXIONOVUne Saga moscoviteGallimard / Folio, 1997

Je me replonge pour la quatrième fois dans les délices de la lecture d'une saga moscovite du grand Axionov. Des milliers de pages de bonheur, de malheur, de rires, de joies et de désilusion. Le roman relate les parcours croisés d'une famille d'intellectuels, les Gradov, de l'accession au pouvoir de Staline jusqu'à sa mort.
Cet étrange objet romanesque est avant tout, comme son nom l'indique une saga: c'est l'histoire d'une famille issue de ce qui constituait la bourgeoisie moscovite avant la Révolution.

La figure tutélaire et paternelle qui veille à la préservation du lien entre les différents personnages s'appelle Boris. Il est chirurgien, reconnu et respecté. Ses fils sont des enfants de la Révolution: Nikita a embrassé la carrière militaire et Kirill est un idéologue au service du parti. Leur soeur Nina brûle son adolescence dans les derniers feux de la Révolution, au début du roman. Autour de ces personnages, d'autres hommes et femmes, parfois même des animaux, gravitent, apparaissent ou disparaissent , au fil de la narration et des déportations.
 
Le style d'Axionov est particulier. Le côté "saga" renvoie à un autre monstre de la littérature russe : il y a du Tolstoï chez Axionov, de La guerre et la paix dans une saga moscovite. Ne serait-ce que par le fait qu'il s'agit de fresque historique et romanesque. On trouve également dans cet ouvrage un élément qui me semble renvoyer particulièrement à la littérature russe. C'est un bouquet d'émotions. On rit et on pleure à la lecture d'Une saga moscovite. Les romans capables de me faire verser des larmes se comptent sur les doigts d'une main. Mais il y a quelque chose de "pas russe du tout" dans cette écriture. Un élément que je crois avoir déjà repéré chez certains auteurs sud-américains. La focalisation de la narration ne cesse de changer selon les chapitres. Lorsqu'il s'agit de suivre un des personnages principaux, le récit à la troisième personne, se fixe juste derrière son dos et suit ses élucubrations les plus intimes: focalisation interne à la troisième personne pour les initiés. Certains chapitres sont cependant assez troublants. Ils sont souvent intercalés entre les grands développement du roman et se fixent autour d'éléments formant le quotidien des différents protagonistes. Ainsi un vieil arbre du parc Gorki, réincarnation d'un cercle intellectuel que Dostoievski avait fréquenté dans sa jeunesse, voit défiler sous ses branches les militaires capables de renverser Staline, et pénètre dans leur plus intimes pensées. Pythagore, le chien des Gradov et membre à part entière de la famille s'avère cacher l'ultime avatar d'un Prince russe des siècles de jadis. Ces éléments fantastiques contrastent avec le récit historique (quoique romancé) des autres parties du livre.
Au final donc un chef d'oeuvre à déguster jusqu'à tard dans le soir. Ah... quand la littérature peut nous tenir ainsi éveillé, je me dis que rien n'est perdu... encore...

Guillaume Henchoz

Retour à la liste