"Habibi" par Craig Thompson

Craig Thompson, Habibi, Casterman, 2016
Dans cette œuvre monumentale — quelques 666 pages tout de même, et même si y apparaissent d’occasionnels shaytans, n’y voyez là rien de satanique —, Craig Thompson livre un récit somptueux aux atmosphères de contes orientaux, mêlant habilement le grave et le merveilleux, l’érudition, l’onirique et le grotesque. Une jeune fille de 12 ans à la peau claire, vendue en mariage par ses parents et veuve presque aussitôt, recueille un garçonnet de 3 ans dont la mère, esclave noire, ne peut s’occuper. Refusant de se soumettre à un destin de servitude, les deux se réfugient dans le désert où ensemble ils survivent durant neuf ans (leur différence d’âge) à bord d’un bateau échoué dans les dunes. Lui est en charge de leur trouver de l’eau, elle de la nourriture qu’elle troque contre son corps auprès de caravaniers de passage. Pour l’apaiser et le stimuler, elle l’initie à la calligraphie arabe, à la symbolique des lettres et au pouvoir des mots, lui raconte des histoires du Coran. La réalité des hommes, durs et cruels, va les arracher l’un à l’autre, mais l’amour profond qui les lie transcende le temps et l’espace, et la chair qui est pleine de désirs. Rythmé selon les neuf lettres d’un carré magique, le récit est éblouissant d’inventivité graphique et narrative, un chef-d’oeuvre de la bande-dessinée. DH