"Cuisine soviétique" par Guélia Pevzner

Guélia Pevzner, Cuisine soviétique : Le livre de la nourriture bonne et saine, Les éditions de l’épure, 2024

Les éditions de l’épure ont acquis leur renommée grâce aux élégantes plaquettes aux pages non coupées de la collection « dix façons de les préparer ». Des petits pois au taureau de combat, des artichauts à la morue, c’est toujours un aliment ou ingrédient qui est décliné en dix propositions. Toute autre ambition et envergure pour la collection Faim de l’histoire, qui investit le domaine culinaire sous l’angle culturel et historique. Sous son volumineux cartonnage citron, Cuisine soviétique : Le livre de la nourriture bonne et saine nous donne à découvrir un bien curieux objet. Publié pour la première fois en 1939 (quelle étrange idée de publier un livre de cuisine en période de famine), c’est à l’origine un manuel de propagande chantant les louanges du régime et les incommensurables progrès de l’industrie alimentaire soviétique. Pour maintenir intact le tonus révolutionnaire de la population, il lui fallait une nourriture bonne et saine. C’est aussi un immense succès éditorial qui, au fil de ses nombreuses rééditions (c’est celle de 1952 qui est ici présentée et traduite) s’est retrouvé dans énormément de foyers. On l’appelait tout simplement le livre, commente Guélia Pevzner, traductrice et préfacière, qui est née et a vécu en URSS jusqu’à son effondrement. Si on avait un parti unique, une seule voie tracée vers l’avenir, on pouvait tout aussi bien avoir un livre de cuisine unique, nous explique-t-elle. Elle raconte aussi l’affection qu’on lui vouait, et l’ironie qui fusait parfois à l’évocation de produits introuvables ou à la vue de fascinantes d’illustrations photographique représentant des tables de fête recouvertes d’une profusion de victuailles et de boissons dont les citoyens communs ne pouvaient que rêver. On remarquera aussi la manière très peu révolutionnaire de concevoir le décorum d’une table et de sa vaisselle, figé dans une vision on ne peut plus bourgeoise. Et que dire de la division genrée du travail, vu que l’essentiel des recommandations contenues dans ce traité d’économie domestique s’adresse à «l’hôtesse»? En parcourant les 502 recettes vous n’ignorerez plus rien des zakouski, kachas, kisseli, tvorog, pelmeni, ou des saumures de cornichons. MD

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