Ernst Toller, "Le livre des hirondelles", Paris: Séguier, 2020

Des échecs de la révolution sociale à la montée du nazisme, il peut sembler difficile de trouver de l'espoir dans ce livre. Mais le désespoir du temps n’est pas si éloigné du notre propre, et il est bon de revisiter les échecs du passé, pour tenter d’en tirer au moins quelques leçons...

Les éditions Ségiuer nous offre les mémoires d'Ernst Toller sous un emballage doublement trompeur, sous le titre Le livre des hirondelles. Allemagne, 1893-1933. Souvenirs d’un lanceur d’alerte. En effet, ce qui est publié ici, ce n’est pas le recueil de poésie écrit par Toller durant son séjour en prison et paru en 1924 sous le titre Le livre des hirondelles (Das Schwalbenbuch), dont seuls quelques morceaux choisis sont présentés en annexe. Ce qui nous est donné à lire, c’est l’autobiographie que Toller a publiée en 1933 sous le titre Une jeunesse en Allemagne (Eine Jugend in Deutschland). D’où sans doute le sous-titre «Souvenirs d’un lanceur d’alerte». Mais c’est là la seconde tromperie : Toller n’a pas réellement le profil d’un lanceur d’alerte. C’est un militant révolutionnaire socialiste qui payera de longues années de prisons son engagement dans la révolution allemande de 1918-1919, dont le récit constitue le cœur de l’ouvrage. L’intérêt immense de cet épisode historique échappe sans doute à beaucoup, de nos jours, et c’est peut-être pour cela que les édit_rices ont choisi de le qualifier dès la couverture de «lanceur d’alerte», l’année 1933 marquant de sinistre mémoire l’arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne. Voilà qui frappe sans doute mieux les esprits en ce début de XXIe s.

Toller signale comme en passant, par endroits, cette monté des «racistes», comme il désigne les nazis. Il ne me semble pas qu’il explicite le lien entre l’échec de la révolution allemande et la montée de la marée brune. Sans doute pouvait-on rester implicite à ce sujet, à une époque où l’alternative était claire (et elle gagnerait à le redevenir de nos jours) : «socialisme ou barbarie». Le socialisme ayant échoué en 1919… Pourtant, c’est bien là l’un des intérêts centraux de ce livre : nous replonger dans un épisode révolutionnaire dont on n’a plus l’idée de l’importance. C’est sur lui que comptaient les bolcheviques pour généraliser la révolution et sortir la Russie de ce qu’el_les savaient pertinemment être une impasse : le socialisme dans un seul pays n’était pas à l’ordre du jour, et considéré comme une chimère. Seule la révolution allemande devait donner le signal de la révolution mondiale. D’où le caractère tragique de ce livre, qui revient sans illusions sur les errements et les misères de cette tentative révolutionnaire ratée. Non seulement le nazisme, mais le stalinisme, sont des conséquences directes de cet échec.

Pourtant, ce n’est pas uniquement la portée historique de l’épisode relaté qui fait la valeur de ce livre. La plume de l’auteur, pour désabusée, n’en est pas moins vive, souvent caustique. Et très fine aussi. Le premier chapitre, où sont consignés, épars, des souvenirs d’enfance, est un véritable chef-d’œuvre de subtilité, lorsqu’il nous montre comment un enfant juif issu d’une famille relativement aisée, dans une ville allemande où vit une assez importante communauté polonaise, apprend à travers les interactions entre enfants et les sentences creuses des adultes les préjugés religieux, le racisme, le mépris de classe…

C’est sur la liberté que s’achève le récit, avec la sortie de prison de l’auteur. Mais celui-ci nous rappelle à la fin de sa préface que son texte est «écrit l’année où l’on a brûlé [s]es livres en Allemagne». Tout ce qui peut nous inciter à tirer les leçons du passé est bon à prendre, de nos jours. Car l’alternative est toujours la même, et le socialisme ne semble pas sur le point de triompher. On en voit déjà les conséquences et la fête ne fait que commencer...

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