La vie, et alors ? - Kupiec

Sous la dir. de Jean-Jacques Kupiec La VIE, et ALORS ? Paris, Editions

Sous la dir. de Jean-Jacques Kupiec
La VIE, et ALORS ?
Paris, Editions Belin, 2013, 415 pages.

Parmi les quelques seize chapitres de cet ouvrage collectif, la difficulté de lecture varie pour le profane. Citons-en toutefois deux, le 5 : "Qu'est-ce qu'un gène : la fin d'une évidence", et le 6 : "Existe-t-il un programme génétique ?", tout à fait accessibles et utiles.

Le premier, en explorant l'histoire du concept de gène, montre sa complexité croissante et la difficulté de le délimiter et ainsi de le définir. Aussi, "il se pourrait bien que le nombre de gènes permettant (...) la production de nombreuses protéines différentes soit plus important qu'on ne le pense." Le modèle "Un gène --> une protéine" tend en conséquence à perdre de sa superbe. L'auteur insiste également sur le rôle de l'environnement : "Du fait que les informations obtenues à partir du matériel génétique dépendent du contexte, la définition du gène dépend des caractères qui sont étudiés. Les limites des gènes ne sont pas fixées par le matériel génétique lui-même, mais varient en fonction des contextes cellulaires et environnementaux."
Le second article, suivant également un cheminement historique, présente les débats relatifs à la notion de "programme génétique" et à la vision déterministe qu'elle charrie. Pour en arriver à pencher vers la conclusion que, moins antagoniques qu'ils paraissent, le modèle "déterministe" et le modèle "probabiliste" ("stochastique", "hasardeux", "aléatoire") peuvent dans une certaine mesure être combinés. Dans une certaine mesure puisque ce serait bien au premier d'être contenu dans le second :
"Dépasser l'opposition entre déterminisme et probabilisme est en effet possible. Il faut pour cela accepter l'idée que le second n'est pas la négation du premier, mais l'englobe. En effet, la "spécificité" de l'interaction entre deux molécules n'est que le reflet de leur très grande affinité, qui se caractérise par des constantes d'association élevées, en tout cas significativement plus qu'avec tout autre partenaire moléculaire potentiel. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une valeur quantitative et pas d'un système de "tout ou rien". Si l'on élargit le raisonnement, les interactions déterministes entre deux molécules "stéréospécifiques" ne le sont qu'en apparence, tout simplement parce que fonctionnellement, elles donnent l'impression d'avoir lieu systématiquement. En réalité, elles ont juste une probabilité très proche de 1 d'avoir lieu, mais qui reste bien une probabilité. Il est d'ailleurs fort possible que l'évolution par sélection naturelle soit justement l'instance par laquelle ces interactions aient une probabilité "adaptée". Dans certains cas (quand la loi des grands nombres applicable aux cellules ne peut pas jouer, pensons notamment aux premières phases du développement embryonnaire), une phase de déterminisme fonctionnel des interactions est crédible. On peut alors imaginer que la proximité des gènes entre eux et leur nombre de copies, paramètres pouvant chacun passer au crible de la sélection naturelle, puissent permettre cette apparence de fonctionnement déterministe. Dans d'autres cas, quand un fonctionnement "à l'identique" de chacune des cellules d'un tissu n'est pas absolument nécessaire, l'expression stochastique pourrait exister sans conséquence, sans coûteux mécanismes de contrôle, et serait alors plus facilement détectable. Dans ce cadre théorique, on comprend qu'en fait, toutes les interactions sont probabilistes, mais que c'est précisément la valeur de cette probabilité qui est modulée par l'histoire du vivant, en adaptation avec la fonction. Le déterminisme apparaît alors comme la limite du probabilisme ou, dit autrement, un cas particulier. L'opposition s'aplanit et le programme génétique ne décrit plus tant une vérité factuelle que le niveau d'observation auquel on se place : un foie accomplit certes sa fonction de foie, mais chaque cellule de foie a sa marge de manoeuvre, sa liberté biologique, en quelque sorte."
Tout cela représente en somme une bien mauvaise nouvelle pour les tenants des utilisations conservatrices de la biologie appliquée au social, ce dont on ne peut que se réjouir.
YB

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