Le village de l'allemand
Boualem SANSALLe village de l'allemandGallimard,
Boualem SANSALLe village de l'allemandGallimard, 2008
Dans "le village de l'allemand", Boualem Sansal croise les journaux intimes de deux frères d'origines algériennes installés dans la banlieue française. C'est l'occasion pour l'écrivain algérien de dénoncer en vrac l'antisémitisme et le révisionnisme qui touchent la plupart des pays arabes et maghrébins, mais aussi l'islamisation des banlieues françaises et le terrorisme. Un livre dur, terrible.
Ils s'appellent Rachel et Malrich. A la suite de l'assassinat de leurs parents dans l'attaque de leur village quelque part en Algérie, les deux frères vont être amenés à apprendre que leur père d'origine allemande est en fait un ancien nazi qui a officié dans les camps.
Rachel est cultivé, intelligent. Il a terminé des études et travaille comme cadre dans une grande entreprise. C'est lui qui va commencer à s'interroger et faire des recherches sur le passé du père. Malrich est plus jeune, moins instruit et un peu plus fruste. Il reprendra pourtant le flambeau après le suicide de son frère aîné. Si pour Rachel le passé ressemble à un monstre qui le poursuit et qui finit par le rattraper, Malrich, à travers son journal semble au contraire se remplumer à la lecture de celui de son frère.
Cet ouvrage est d'une grande qualité littéraire. Si le style de Rachel est plus léché, classique, on se laisse facilement porter par le flot des paroles de Malrich, atteint d'une sorte de logorrhée salvatrice, un besoin de tout dire, de tout raconter: la vie au bled, la France des banlieues, la tentation de l'islamisme, la petite délinquance, les rapports sociaux atrophiés. Grâce à Malrich il y a aussi de l'humour dans cette tragédie, quoi que ce dernier se fasse finalement aussi sombre que le destin qui pend au nez de Rachel...
Le livre suscite une importante polémique sur la toile et en Algérie. L'ouvrage de Sansal laisse apparaître des parallèles entre islamisme et hitlérisme que de nombreux contradicteurs lui reprochent. A y regarder de plus près, le livre est bien plus fin que cela. La filiation entre nazisme et islam se tisse au fil de la narration en découvrant l'histoire du père qui a pu fuir au Maghreb dès les lendemains de la Seconde guerre mondiale. En fait Sansal n'a rien inventé. Il sont bien quelques uns à avoir emprunté cette filière. En interrogeant les liens historiques et idéologiques qui semblent rapprocher nazisme et islamisme, Sansal réveille en quelques sortes le monstre. Dans le sillage de ses entretiens sur le web, se cristallisent les propos violents et menaçants, bêtes et extrémistes. Si le roman semble se terminer sur une note plutôt positive (Malrich semble avoir toutes les cartes en mains pour ne sombrer ni dans la délinquances, ni chez les islamistes), les réactions à la publication et aux entretiens qu'a accordé l'auteur du village de l'allemandsont plutôt inquiétantes. Le négationnisme semble avoir encore de beaux jours devant lui.
Guillaume Henchoz