Le sec et l'humide
Jonathan LITTELLe sec et l'humideGallimard,
Jonathan LITTELLe sec et l'humideGallimard, 2008
Le nouvel ouvrage de Jonathan Littell, "Le sec et l'humide", vient de paraître. L'essai se penche sur un cas d'école, le fasciste wallon Léon Degrelle. Littell nous livre une analyse serrée et parfois même poussive des mémoires de ce sinistre personnage.
J'ai découvert Les Bienveillantes, au moment de sa sortie, un peu avant que le livre ne soit emporté par le tsunami médiatique qu'il avait déclenché. Je crois que j'avais surtout été fasciné par la taille et le poids du monstre.
J'étais en vacances, j'avais du temps à tuer, et les lectures concernant les événements de la deuxième guerre mondiale ont toujours exercé ma curiosité morbide pas toujours très assumée. Le livre était une sacrée claque. Pour la première fois, je tenais dans les mains une oeuvre de fiction d'une qualité extraordinaire (au sens étymologique du mot...) écrite par un individu de ma génération. La Shoah atteignable par le biais de la fiction à travers le travail d'un écrivain qui n'avait pas vécu les événements. Fort. Le coeur de la critique et des reproches qui n'ont pas manqué de tomber sur le livre me semblait se focaliser sur le narrateur, Max Aue. Ce dernier n'a rien d'un homme ordinaire décrit par Christopher Browning. Il ne se rattache pas non plus à cet antisémitisme éliminationiste prêté par Goldhagen à l'ensemble du peuple allemand. J'ai toujours pris la figure un peu chimérique de Max Aue comme une sorte de pied de nez au différentes explications savantes visant à éclairer les motivations et le fonctionnement du génocide perpétré à l'encontre des juifs d'Europe. Littell, avec son monstre construit à la fois tout en névroses et en psychoses, nous met face à un personnage auquel on peut difficilement s'identifier.
La lecture de son récent essai Le sec et l'humide vient cependant un peu chambouler les cartes. Dans cet ouvrage, Littell travaille sur le langage fasciste à travers un texte de Léon Degrelle, fasciste belge, dirigeant des unités SS wallones à la fin de la 2e Guerre Mondiale. Littell s'inspire des travaux de Klaus Theweleit, sociologue allemand de la deuxième moitié du 20e siècle. Ce dernier développe une théorie psychanalytique qui vise à essayer de comprendre le fonctionnement du modèle fasciste. Il s'agit de percevoir le fascisme et le langage qui en découle comme un "mode de production de la réalité". Theweleit a ainsi travaillé sur un corpus important de romans et de mémoires rédigés par les vétérans des Freikorps allemands. L'hypothèse principale de Theweleit est que le fasciste ne saurait être appréhendé en terme de psychanalyse freudienne, mais il pourrait l'approcher par le biais des psychanalyses de l'enfance: pas d'oeidipe pour le fasciste qui n'aurait pas encore effectuer sa séparation avec la mère. Le fasciste serait une sorte de "pas-encore-complètement-né". Pour parvenir à un certain stade d'évolution, le fasciste aurait ainsi emprunter d'autres chemins. Par le dressage et la discipline, il se serait ainsi forgé une sorte de "Moi-carapace" dont le rôle principal serait de maintenir à l'intérieur pulsions, désirs inconscients et informes. Cette carapace serait sous-tendue par une série d'institutions qui la renforceraient (milice, armée, école, etc.). Le fasciste ne pourrait ainsi p les femmes que sous deux figures "archétypales" : L'infirmière blanche, vierge et dévouée et l'infirmière rouge, peu fréquentable on s'en doutait.
Présenté par une partie de la critique comme une clef de lecture pour les Bienveillantes et son personnage principal, je me suis donc précipité en librairie afin d'acquérir le nouvel essai. L'explication psychanalytique du modèle fasciste m'a paru un peu légère. Tout d'abord, Littell a une sorte de côté "retro": il réactualise un sociologue peu connu, actif dans les années 60, qui s'emploie à démontrer la performativité du discours fasciste. Theweleit, jamais traduit en français mais disponible en allemand et en anglais semble surfer sur la vague du linguistic turn,posture épistémologique qui tend à réduire tous les éléments d'analyse à des discours. La suite de la démonstration est un peu malheureuse: Littell s'efforce de démontrer que ces schémas psychanalytiques s'appliquent parfaitement à Degrelle. A ce stade de la lecture, on a parfois l'impression de parcourir un mémoire de licence bien torché mais un peu raide. Il s'agit en fait d'un repérage des occurences que Littell a repéré dans le texte autobiographique de Degrelle. L'auteur semble alors nous suggérer que ce modèle-là sous-tend la conception de son narrateur dans les Bienveillantes.
On retiendra de ce petit essai que l'on peut être un écrivain de génie et un piètre essayiste. Je note toutefois deux apports intéressants. Tout d'abord, l'ouvrage nous fait découvrir Léon Degrelle, un personnage inquiétant et intéressant que les historiens semblent avoir peu traité. La bibliographie et les documents présentés par Littell sont impeccables. A défaut de psychanalyse, Littell nous livre un opus historique ma foi assez intéressant. De plus, le texte donne envie d'aller gratter du côté de Theweleit : le sociologue, présent dans la postface de l'ouvrage semble prendre un brin de recul avec l'usage que fait de lui Littell. A creuser !
Guillaume Henchoz