Megan Rosenbloom, Des livres reliés en peau humaine: Enquête sur la bibliopégie anthropodermique, Éditions B42
Megan Rosenbloom, Des livres reliés en peau humaine: Enquête sur la bibliopégie anthropodermique, Éditions B42
Bibliothécaire spécialisée dans l’histoire de la médecine, Megan Rosenbloom appartient à un groupe de recherche bien particulier, l’Anthropodermic Book Project, qui se propose ni plus ni moins que d’enquêter sur les livres reliés en peau humaine, et d’en réaliser une expertise. Qui les a reliés, qui a désiré les posséder? Les bibliothèques devraient-elles les conserver ou plutôt s’en séparer? Qui sont ceux qui y ont, littéralement, laissé leur peau?
La pratique, bien que rarissime, est attestée. Elle n’a pas manqué de nourrir toutes sortes de rumeurs et fantasmes. Ainsi les tenants de l’Ancien régime n’ont-ils manqué d’accuser la Révolution française, parmi d’autres abominations, d’avoir encouragé le tannage de peaux humaines pour fabriquer des abat-jours, des fauteuils, ou encore des reliures. Aucun objet «révolutionnaire» prétendument anthropodermique n’a pourtant résisté à l’examen. L’étrange, l’occulte, le macabre ont bien sûr alimenté leur lot de spéculations, qui se sont parfois avérées fondées. Ce fut le par exemple le cas d’un bien nommé The Dance of Death de Hans Holbein, ou d’un Scarabée d’Edgar Allan Poe.
L’intérêt du livre de Megan Rosenbloom ne se résume pas à une simple curiosité bibliophilique. Premièrement, car les questions éthiques qu’il soulève sont passionnantes. On découvre que le phénomène a connu son apogée au XIXe siècle, et fut principalement le fait de quelques médecins bibliophiles désireux de posséder des pièces uniques. A une époque où la science médicale en pleine expansion se montrait particulièrement peu regardante sur la provenance des corps destinés à la dissection, ceux des pauvres et des criminels en particulier, et s’arrogeait le droit d’en faire ce que bon lui semblait. Ensuite, si les législations actuelles interdisent sans ambiguïté l’exploitation de restes humains, la naissance du mouvement Skin Art et la volonté de certains de faire de leur propre peau tatouée un objet d’exposition post-mortem résonnent comme un écho contemporain aux pratiques de bibliopégie anthropodermique de jadis.
Enfin, l’autrice s’emploie à donner chair et à restituer de la dignité à toute une série de personnages emblématiques d’une humanité maltraitée, d’une longue histoire sociale faite de dominants et de dominés. Le lecteur fera par exemple connaissance avec Louise Bourgeois, sage-femme de Marie de Médicis, et Phillis Wheatley, esclave noire et première poétesse afro-américaine reconnue. Elles ont en commun le fait d’être des femmes dont des hommes ont décidé de relier un livre avec de la peau humaine. La première tomba en disgrâce et fut interdite d’exercer son art par les médecins de son temps, tous des hommes. Un docte conseil d’hommes blancs questionna la seconde pour déterminer si une Noire pouvait vraiment écrire des poèmes. Unique et incroyable fut le cas de George Walton, bandit de grand chemin aux alias aussi nombreux que ses séjours carcéraux. Dans un acte inouï de réappropriation de son destin, il disposa de faire relier dans sa propre peau deux exemplaires de ses mémoires dictés au directeur de sa prison. MD