Michael Heinrich, Karl Marx et la naissance de la société moderne, vol.1, Éditions sociales, 2019, CHF 39.80

Jusqu’à très récemment, les lect_rices francophones cherchant à lire

Jusqu’à très récemment, les lect_rices francophones cherchant à lire une biographie de Marx dans leur langue avaient en somme le choix entre des productions de haute facture, mais fort anciennes (Franz Mehring, Auguste Cornu), ou des ouvrages plus récents, mais au mieux oubliables (Bernard Cottret) et souvent catastrophiquement mauvais (Francis Wheen, Jacques Attali).
L’année 2018 marquant le bicentenaire de la naissance de Karl Marx, la production biographique à son sujet a connu une remontée impressionnante, surtout en termes de qualité. Pour rester sur la seule langue française, on a vu paraître une traduction de la classique biographie de Marx par Franz Mehring (1918), largement annotée par Gerald Bloch, afin de tenir compte de la recherche historique effectuée jusqu’aux années 1980. Bloch n’avait pu achever son travail et seule la première moitié de la biographie fut publiée de son vivant. Le reste de ses notes de travail ayant été retrouvé récemment, la traduction intégrale et les notes de Bloch ont enfin pu être publiées (Vie de Karl Marx, Syllepse/Page2, 2018, 2 vol.). La très solide biographie de Marx écrite en 2013 par l’historien américain Jonathan Sperber a bénéficié d’une traduction française l’année précédente (Karl Marx, homme du XIXe siècle, Piranha, 2017).
Mais une biographie (ou un début de biographie, puisque le premier volume, seul paru, s’arrête à l’obtention par Marx de son doctorat en philosophie en 1841) se détache du lot : celle de Michael Heinrich. Elle se distingue pour plusieurs raisons. Son volume, d’abord : il s’agit de prendre le temps d’explorer la vie et l’œuvre de Marx dans leur complexité, ce qui nécessite évidemment plusieurs volumes. Sa rigueur, ensuite : si les travaux de Sperber étaient extrêmement bien documentés, Heinrich refuse de formuler la moindre affirmation sans indiquer une source et la discuter, il différencie toujours les conjectures raisonnables des faits prouvés et il réfléchit également à la pertinence et aux implications de l’écriture biographique en général. Son objectivité enfin : la biographie de Mehring/Bloch était une défense militante, celle de Sperber une mise à distance. Heinrich cherche simplement à comprendre Marx, sans donner l’impression d’avoir des comptes à régler.
Au-delà du seul Marx, c’est toute une histoire sociale, politique, intellectuelle et culturelle du XIXe siècle qu’on est invité_e à parcourir dans ce travail appelé à faire date. Et Heinrich insiste sur l’importance de ce siècle pour comprendre le suivant, puis le nôtre, car nous en sommes encore largement tributaires. Ce travail intéressera, espérons-le, un public bien plus large que les seul_es spécialistes.
On attend donc la suite avec impatience ! FV

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