Yann Courtiau, David Bowie: Lector in fabula, éditions La Baconnière, 2022
Yann Courtiau, David Bowie: Lector in fabula, éditions La Baconnière, 2022
Saviez-vous que David Bowie associait la lecture à l’idée du parfait bonheur? Qu’il était un lecteur compulsif et maniaque vivant entouré de livres? Ses critiques et biographes ont exploré en long et en large de quelle manière l’artiste, au cours de sa carrière longue de cinq décennies, a puisé dans la musique, les arts plastiques, la mode, le théâtre pour incarner d’innombrables avatars et renouveler son langage. De quelle manière en retour il a profondément influencé tous ces domaines. Son portrait en lecteur restait cependant à faire. C’est ce à quoi s’emploie Yann Courtiau.
Dans le cadre de l’exposition de 2013, David Bowie is, le musicien avait donné une liste de ses cent livres préférés. Ancien disquaire devenu libraire, admirateur et profond connaisseur de Bowie, lecteur non moins obsessionnel que son sujet, l’auteur s’est plongé dans ce corpus pour repérer ce qui avait pu directement être une source d’inspiration, et à la recherche de passages semblant évoquer par anticipation certains moments d’une vie que Bowie ne cesse de réinventer.
L’adolescent qui s’appelle encore David Jones rêve d’aventure et de liberté sans limites en découvrant Sur la route de Jack Kerouac. A chaque étape de sa trajectoire, il est possible d’associer des lectures privilégiées. Isherwood et Brecht par exemple, pour les années berlinoises. Ou encore Orwell, Orange mécanique de Burgess et Les garçons sauvages de Burroughs (il emprunte aussi à ce dernier la technique du cut-up dans l’écriture de certains de ses morceaux) pour nourrir les atmosphères dystopiques de l’album Diamond dogs. Le propos de Yann Courtiau n’étant pas de se joindre au chœur des hagiographes, il ne manque pas de pointer les lectures douteuses des années messianiques, paranoïaques et droguées, marquées par la fascination pour les extra-terrestres, l’occultisme d’Aleisteir Crowley, l’esthétique nazie.
Au delà du délassement qu’elle procure, des curiosités intellectuelles qu’elle satisfait, la lecture pour Bowie correspond aussi à un art de vivre. On découvre ainsi un lecteur esthète, un lecteur flâneur, un dandy baudelairien aspirant «à être sublime sans interruption», délaissant les avions pour privilégier la lenteur des voyages en train ou en paquebot en emportant des caisses de livres.
Yann Courtiau a le mérite et l’originalité de ne pas se focaliser uniquement sur les années 1970, aussi créatives et géniales qu’elles furent excessives et autodestructrices. Mais de suivre pas à pas et avec un souci d’objectivité la trajectoire et les lectures de Bowie, sans oublier années les années 1980, peu inspirées mais couronnées par le succès commercial, pour en arriver au créateur mûr, apaisé et plus discret des années 2000.
C’est tout de même le fan qui a le dernier mot : «Umberto Eco (…) déclarait que si Dieu devait exister alors il serait une bibliothèque. J’ajouterais que, dans ce cas, son bibliothécaire aurait été, sans aucun doute possible, David Bowie.» MD