Michael Löwy, La théorie de la révolution chez le jeune Marx, Éditions sociales, 2022
Michael Löwy, La théorie de la révolution chez le jeune Marx, Éditions sociales, 2022
La pensée spécifiquement politique de Marx n’a pas fait en langue française l’objet d’études nombreuses. Parmi les quelques contributions notables sur le sujet, le petit livre de Michael Löwy a connu un destin particulier. Il a en effet été plus remarqué à l’étranger que dans sa langue d’origine, si l’on en croit la préface de l’auteur (sur laquelle je dirai quelques mots tantôt). Espérons que cette réédition la fera mieux connaître dans le monde francophone, car c’est un des meilleurs écrits sur le sujet. Certes, elle porte la marque de son époque (la première édition date de 1970, et il s’agit d’une thèse de doctorat qui avait été réalisée plus tôt encore). La volonté d’appliquer une méthode d’analyse marxiste à l’étude de la pensée et de l’activité de Marx a vieilli. La contextualisation, pourtant fort bien documentée, reproduit trop les points de vue et évaluation de Marx lui-même et pèche par excès de schématisme. Le chapitre sur la question du parti ne tient pas suffisamment compte de la nature des « partis » politiques du premier XIXe siècle. Pourtant, et c’est là l’essentiel, la lecture qui est proposée de Marx est fondamentalement juste. L’auteur suit l’évolution intellectuelle et politique du penseur allemand jusqu’à l’élaboration à peu près définitive de sa conception de la révolution. L’auto-émancipation du prolétariat, tel est selon lui le cœur de l’action théorique et pratique de Marx. Comment, sur la base de ce principe, les communistes peuvent-ils œuvrer à favoriser et accélérer ce mouvement d’émancipation de la classe ouvrière par elle-même ? Contre les tendances autoritaires de la quête d’un « sauveur suprême » qui viendrait apporter la libération d’en-haut (position qu’il attribue un peu rapidement à toute la tradition du socialisme babouviste et « utopiste »), Michael Löwy développe une lecture toute en finesse de l’articulation de la théorie et de la pratique, et du rôle des partis révolutionnaires dans la révolution. Cette idée centrale de la « praxis » (articulation dialectique de la théorie et de la pratique) s’oppose à toute idée d’une théorie ou d’une conscience de classe qui serait apportée de l’extérieur au prolétariat : c’est au contraire dans la lutte révolutionnaire elle-même que cette articulation s’effectue. Notons au passage que Löwy est un des rares autxrices marxistes francophones à rendre justice au travail de Maximilien Rubel, dont il reconnaît qu’il a eu notamment le mérite immense de savoir discerner chez Marx cette centralité de l’idée d’auto-émancipation.
Cette réédition n’a pas subi de mise à jour réelle depuis la seconde édition de 1997, qui était parue dans une maison d’édition qui avait repris le nom des Éditions sociales, alors en cessation d’activité depuis 1991. Cette maison d’édition « pirate » a vécu deux ans seulement entre 1996 et 1998. Michael Löwy avait alors rédigé une préface qui retraçait rapidement la réception de son livre et mentionnait quelques parutions intervenues depuis la première édition sur des sujets proches du sien. Il livrait ensuite ses considérations sur les principes d’une lecture renouvelée du marxisme après la chute des régimes dits « communistes », plaidant pour une conception relativement ouverte du marxisme. La préface de 2022 reprend presque telle quelle celle de 1997, sans le mentionner. Seuls quelques paragraphes sont retouchés. Cela dit pour l’anecdote. FV