"1848 : le printemps des peuples" par Christopher Clark

Christopher Clark, 1848 : le printemps des peuples, Flammarion, 2024

Voici une synthèse brillante et accessible (pour peu qu'on prenne le temps de s'y plonger) des connaissances historiques sur la vague de révolutions qui balaya l'Europe en 1848. Ces événements aux enjeux multiples et complexes nous sont présentés au travers d'un récit fort bien pensé, soutenu par une érudition impeccable, sans pour autant être écrasante et servi par une écriture claire et prenante. Choisissant habilement ses exemples, faisant la part entre le récit des événements et les analyses, l'historien nous offre un texte certes étoffé et volumineux, mais accessible et passionnant.

Le livre s'ouvre sur trois chapitres brossant un tableau de l'Europe du premier XIXe siècle, évoquant tour à tour le bouleversement des conditions sociales sous la pression du développement industriel, les conceptions du monde et les grands courants de pensée structurant la vie politique d'alors, et les conflits politiques et sociaux qui éclataient dans cette Europe aux fondements féodaux et monarchiques ébranlés.
Les révolutions elles-mêmes, dont le(s) point(s) de départ est difficile à situer précisément, nous sont alors racontées à la fois dans leurs trajectoires nationales propres, tout en faisant bien sentir les entrecroisements et connexions qui les relient les unes aux autres.

Malgré l'échec final de ces soulèvements, c'est bien à la naissance de notre modernité politique que l'on assiste ici. De la naissance de régimes politiques qui nous sont familiers (une éphémère République en France, des constitutions libérales, la naissance de la Confédération suisse sous sa forme actuelle) à la normalisation des revendications démocratiques, en passant par les premiers balbutiements de mouvements féministes, les enjeux d'alors ont encore des résonances actuelles, même s'il faut de garder de tout anachronisme.

Il est particulièrement agréable de disposer d'une telle monographie, qui offre une unité de style et une cohérence narrative qui manquent aux productions historiques de synthèse de ces dernières décennies, qui sont souvent des ouvrages massivement collectifs, à la structure éclatée, où les autxrices sont à l'étroit dans des chapitres trop courts et trop nombreux, aboutissant à un résultat absolument indigeste même quand le sujet est passionnant. Savoir qu'il est encore possible, en dépit des impératifs du publish or perish, de produire une synthèse d'une seule plume a quelque chose de profondément réconfortant.

Par contraste, on ne peut s'empêcher de déplorer un travail éditorial à la limite du sabotage, au niveau de l'appareil critique. Les éditions Flammarion publient de nombreux ouvrages d'histoire et doivent bien se douter que les chercheuxses constitueront une part non négligeable du lectorat de ce livre, qui leur servira d'outil de travail. Tout semble pourtant avoir été fait pour empêcher un tel usage du livre : table des matière rachitique, index limité aux seuls noms propres, aucune chronologie et les notes... Grand Dieu, les notes ! Qu'elles soient regroupées en fin de volume, à la grande rigueur, cela se peut supporter. Mais compactées en un seul bloc de texte, sans même que le numéro de note soit mis en évidence, les voilà absolument inutilisables. Une telle politique éditoriale justifierait à elle seule de voir l'Europe s'embraser une nouvelle fois dans un élan révolutionnaire ! FV

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