Illana Weizmann, Des Blancs comme les autres ? Les Juifs, angle mort de l’antiracisme, éditions Stock, 2022

Illana Weizmann, Des Blancs comme les autres ? Les Juifs, angle mort de l’antiracisme, éditions Stock, 2022

Dans les traces de Sartre et d’Albert Memmi, entre autres, et en s’appuyant sur une relecture armée de sociologie et d’histoire de son propre parcours, l’autrice nous livre un essai brillantissime sur l’antiracisme.

Après avoir rappelé en quelques mots très bien sentis, dans son avant-propos et son introduction, les problématiques fondamentales de l’universalisme et du concept sociologique de « race », elle trace les grands traits du système antisémites, et livre une réflexion fine sur les processus de constitution des identités opprimées, entre dépossession de soi et reprise en main de son destin dans la lutte. Nous en arrivons ensuite à l’objet central du livre : un plaidoyer contre la marginalisation de la lutte contre l’antisémitisme. Ce qui la préoccupe au premier chef, ce sont les enjeux liés au déni de l’antisémitisme qu’elle décèle à gauche. Car si l’antisémitisme est foncièrement de droite, on le trouve également à gauche, et cela est d’autant plus préoccupant que la gauche devrait être l’alliée des luttes émancipatrices et donc antiracistes.

En délaissant ce terrain de lutte, voire en ayant parfois une certaine complaisance avec les thèmes antisémites, la gauche renforce en réalité l’extrême-droite. Qu’il s’agisse des tenants d’un « nouvel antisémitisme », allant d’un Bernard-Henri Lévy à Alain Finkelkraut et Elizabeth Lévy, ou d’une une Marine Le Pen, la droite plus ou moins extrême s’empare en effet de la montée l’antisémitisme délaissée par la gauche, en suggérant que ce « nouvel antisémitisme » prendrait ses racines spécifiquement dans « les quartiers ». On assiste ainsi à une instrumentalisation de l’antisémitisme à des fins islamophobes. Or c’est bien contre une telle mise en concurrence des racismes que s’élève Weizman, qui insiste au contraire sur l’essence commune des systèmes racistes. Si chaque racisme (négrophobie, islamophobie, antisémitisme, et d’autres) a ses spécificités, qu’il faut connaître et analyser, les points de convergence sont également nombreux.

Une réelle politique antiraciste ne peut se construire que sur une prise en compte de chacun de ces racismes et de la compréhension de leur articulation dans une matrice commune aux divers racismes. Faute de quoi, c’est toujours le racisme qui en ressort renforcé : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, disait Franz Fanon, dressez l’oreille : on parle de vous. » Il serait donc irresponsable de vouloir minorer l’antisémitisme lorsqu’il émane de milieux musulmans, au prétexte qu’il s’agit également d’une minorité racisée, comme le fait par exemple Houria Boutledja, qui tombe elle-même dans des propos hautement essentialisant sur les Juixves.

L’exemple à suivre se trouve plutôt du côté d’une Assa Traoré, condamnant sans réserve des propos antisémites lancés contre des suprématistes blancs lors d’une manifestation antiraciste. Les racismes se nourrissent les uns des autres, les antiracismes doivent faire de même. Car ce n’est pas pour diviser les luttes, mais bien pour les renforcer, qu’il importe de faire la critique systématique du racisme que l’on peut rencontrer y compris dans ses propres rangs.

C’est à une telle critique que s’attèle Weizman, en présentant les traits spécifiques de l’antisémitisme et en montrant comment certains éléments de la gauche les renforcent par des attitudes parfois ambiguës, parfois plus activement antisémites. Sa dénonciation est finalement aussi une dénonciation de l’islamophobie et de tous les autres racismes. Avec un sens de la formule et un style percutants, Weizman navigue avec maestria sur les eaux tumultueuses de son sujet, évitant les nombreux écueils qui parsèment cette thématique complexe et brûlante, et sait tenir fermement le bon cap, politiquement et moralement. Une attitude exemplaire, un modèle à suivre et des leçons à méditer sérieusement. FV

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